« Nouvelle citoyenneté ou dépolitisation du citoyen? », in L’Homme et la Société, L’Harmattan, n° 121-122, 1996/3-4

Citoyenneté et lutte des classes

Comme dans la vulgate des publicistes préoccupés des choses du commerce, le terme “nouveau” accolé à la citoyenneté, et plus encore aujourd’hui à la démocratie, donne l’impression du déplacement d’un terrain vers un autre, celui de la sociologisation d’une
image singulière du bonheur toute contenue dans la puissance présumée intrinsèque d’une modernité dont l’annonce suffirait seule pour emporter l’adhésion. Le schéma social où elle doit se réaliser renvoie à l’idée, de plus en plus convergente dans la production savante, d’une somme d’individus mobilisés pour le fonctionnement des marchés et rassemblés dans la nation autour de ses élites dans des espaces où ils se situent côte à côte et non plus face à face, et où il existe une forte mobilité, une fluctuation entre ceux qui montent et ceux qui descendent, entre les statuts, entre les revenus.
Pour certains, une telle réalité sociale est encore toute théorique, et en tout cas ce
ne peut être le creuset d’une solution aux maux sociaux: celle-ci réside encore dans la
nécessité de faire un droit social. Mais pour d’autres c’est impossible, l’horizon est la
flexibilité. Pourquoi ? Parce que l’opposition entre le libéralisme et le social implique le
primat de l’homo économicus qui supprime le social. De plus le jeu entre l’individuel et le
collectif (entre famille et entreprise) s’est effrité. Dans ce modèle on ne nie par le rôle du
conflit mais celui du conflit de classe. Au contraire, le conflit doit viser à éviter la crise de
la représentation et de la démocratie comme effet pervers du système de référence, celui
des campagnes à “l’américaine”. L’affaiblissement du rôle des organisations ouvrières et
des formes de luttes de classe classiques – leur cadre d’exercice se situant hors de l’espace national – est le seul fait réellement concret, mais trompeur de cet argumentaire non sans arrière pensée.

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