« Immigrés », in La France des années 68, Éditions Syllepse, Paris, 2008

Couv-La France-des-annees-1968

« Travailleurs français immigrés, même patron, même combat ! ». Bien que l’association « travailleurs » et « immigrés », même illustrée des termes « tous unis » ou « solidarité » ne domine pas dans l’expression publique du mouvement de 68 et ne semble pas avoir été accompagné d’activités importantes en mai et juin, la formule fait partie des thématiques de ce que l’on appelle maintenant l’« esprit de Mai 68 ». C’est dans ses prolongements, comme en bien d’autres domaines, dans les années 1970, que s’affirmeront la puissance symbolique de la formule et ses effets pratiques. Plus encore, bien qu’absente des murs et des banderoles, le mouvement de Mai 68 apparaît comme sa proclamation, confirmant en ce sens sa signification profonde, c’est-à-dire un moment singulier et saisissant, commencé bien avant, d’un processus de rupture avec les nationalismes des 19 e et 20 e siècles, avec leurs idéologies et les structures sociales qui en ont résulté. Processus de rupture marqué par un retour, tout en renouvelant sa forme et son contenu idéologique, à un internationalisme porté par les mouvements étudiants, depuis les mouvements de soutien aux luttes anticoloniales jusqu’à celles, anti-impérialistes, contre l’intervention américaine au Vietnam, en défense de la révolution cubaine ou en faveur du peuple palestinien…

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« Introduction » et « Mémoire ouvrière, mémoire de l’immigration », in Mémoires algériennes, Syllepse, Paris, 2004

Mémoires algériennes

Mémoire algériennes et histoire de l’Algérie

« Mémoires algériennes » ! Voila donc des mémoires en quête d’un passé pour lequel aucun devoir n’exige l’évocation. Abdelmalek Sayad, à qui ces pages veulent rendre hommage, connaissait mieux que quiconque la gravité et la force explicative de ces mémoires multiples, différenciées, que les historiens peinent à constituer en archives ; des mémoires tourmentées faisant entendre les plaintes recouvertes par la période coloniale, dans l’immigration, et celles enveloppées aujourd’hui par l’État national algérien auquel on continue d’accorder des vertus confisquées par l’histoire, si ce n’est par celle de l’été 1962. D’ailleurs, le lien entre mémoire et histoire ne trouve-t-il pas sa signification dans cette diversité, échafaudant des histoires dissemblables, discordantes ou partagées?  Sans doute, de pareilles mémoires, qu’on les nomme « algériennes » ou d’« immigrés », ne possèdent-elles pas l’indication requise qui les ferait s’exalter au nom d’un « devoir national ». C’est du reste sa précarité symbolique présente qui, en France, le presse à s’abriter plus sûrement, du moins le croît-on, sous la bannière des « droits de l’homme » ; « devoir national » ne fait pas bon ménage avec des mémoires d’immigrés, d’immigrés algériens où se mêlent plus encore des « mémoires ouvrières »…

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« Mémoire ouvrière, mémoire de l’immigration »

Dire « mémoires algériennes » invite assurément à limiter les références mémorielles aux souvenirs les plus proches, dans une « Algérie » par ailleurs historicisée depuis les temps immémoriaux d’ancêtres fondateurs, alors qu’elle est une invention du XIX e siècle. De cette histoire moderne, dont beaucoup reste encore à faire, demeure des archives papiers et quelques livres ; quitte à s’en accaparer les avatars disparates, la mémoire pour sa part s’intéresse aussi à autre chose. Si elle fouille l’histoire, c’est surtout pour célébrer ce que Théodor Adorno définissait comme celle des « malheurs passés », sous des rituels les magnifiant plus encore par l’éclat controuvé du « grand dessein national » accompli et de l’enchantement de sa visée « démocratique » et « sociale » continûment reportée, dont ils annoncent l’avènement, non de façon tangible donc, mais sous l’illusion que crée l’imaginaire : toujours comme promesse, tant sont indicibles les malheurs futurs. Encore s’agit-il de malheurs singuliers, arrachés en guise de mémoire pour servir des utilités et des stratégies sociales dans le présent et pour l’avenir, d’où des mémoires croisées, voire contraires. Du coup, l’objet « Algérie » amène ses historiens à travailler sous la contrainte d’une vérité à construire en vue d’instruire toute une série de dossiers : la laïcité, le foulard et l’Islam, les harkis, l’intégration, etc. Et ils se divisent en fonction de la pression qu’ils reçoivent ou des inflexions axiologiques, idéologiques et politiques, qu’ils donnent à leurs recherches. Le Centre de Ressources et de Mémoire de l’Immigration créé récemment à Paris échappera difficilement à ce dilemme. Travaillant sous commande étatique, il s’expose forcément au risque de produire une sorte de base mémorielle, qu’on appellera peut-être mémoire de la « réconciliation », une mémoire dictée par la nécessité de coller aux préoccupations politico économiques actuelles des États français et algériens. C’est évidemment encore trop tôt, il faut attendre un peu pour savoir ce qu’il en adviendra, mais ceci survient au moment même où, dans une commune voisine, le maire interdit que soit évoqué le 17 octobre 1961 dans une manifestation publique !

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