Peut-on encore supposer un « Monde arabe » et parler de « révolutions arabes » sans voir que c’est déjà faire preuve d’exceptionnalisme méthodologique ? La priorité est aux considérations enthousiastes et aux commentaires extatiques, sous la prédominance de sources que les chercheurs ont pour principe de mettre en doute ou de soumettre à l’analyse critique. Articulées l’une à l’autre, ces sources sont médiatiques, orientées par les postures idéologiques propres à chacune d’elle et partisanes, produites par des protagonistes guidées par les références doctrinales et objectifs des uns et des autres. Les exigences minimums d’une science sociale « normale » semblent y trouver laborieusement leur place, comme si elles n’étaient pas adaptées aux types d’objet ou aux processus représentés par les événements en Tunisie, en Égypte et dans les autres pays du pourtour méditerranéen.
L’article qui suit analyse le processus de formation des États nationaux nord africains, en mettant en lumière comment la matrice coloniale a conduit les colonisateurs à une sous-estimation de l’articulation ethnique, sociale et historique des populations colonisées. Cela a entraîné la construction d’une « unité nationale » et, dans la plupart des cas, à l’invention de types spécifiques de régimes politiques au pouvoir et à la marginalisation des mouvements sociaux, présentée aujourd’hui comme expression de la « société civile ». Ceci explique ainsi que les élites militaires, en couvrant un vide politicien et social, ont tenu un rôle central dans l’histoire récente de ces pays et ils en constituent encore une variable cruciale de l’évolution en cours.